
Penser un avenir socialiste
Proposer une vision claire et concrète du socialisme, une nécessité négligée
Le socialisme, ce sera comment ? Si l’on pose cette question à des militant⸱es de gauche, on obtiendra probablement une réponse du genre « une société solidaire, égalitaire et écologique » ou « une société basée sur les besoins des gens et les capacités de l’environnement ». Et si l’on demande davantage de précisions on nous dira peut-être que « l’économie sera planifiée démocratiquement », mais sans doute pas beaucoup plus que ça.
Ce flou qui plane autour de l’organisation concrète d’une société socialiste part certainement d’une bonne intention : éviter d’avoir un modèle rigide qui risquerait d’être mis en place par le haut et au contraire laisser la possibilité aux personnes qui renverseront le capitalisme de décider ensemble et démocratiquement des structures nécessaires et de leur mode de fonctionnement.
Toutefois, cela pose également de grands problèmes. En effet, il ne suffit pas de mettre en évidence tout ce qui ne fonctionne pas au sein du capitalisme, il faut également être capables de proposer un modèle alternatif, qui donne envie, qui motive les gens à s’engager au quotidien et à lutter pour cette société. Nous avons besoin d’une vision du socialisme capable de susciter l’espoir et de mobiliser la population. Or, cette vision fait aujourd’hui cruellement défaut.
En voici donc une esquisse, inspirée par l’ouvrage Figures du communisme du philosophe et économiste français Frédéric Lordon.
Plan
Tout d’abord se pose la question de l’organisation générale de l’économie, c’est-à-dire de la façon dont on s’assure que les besoins de la population sont satisfaits tout en tenant compte des capacités de l’environnement. Dans cette optique, il s’agit de mettre en place des structures démocratiques à différentes échelles, qui se chargeront de déterminer les besoins de la population « au sein de l’échelle » en question et de trouver les moyens d’y répondre, c’est-à-dire déterminer quelles entreprises ou institutions pourront couvrir ces besoins.
Ce processus doit nécessairement avoir lieu à différentes échelles. En effet, ce n’est pas la même chose de fournir une population donnée en pain ou en légumes – ce qui peut se faire à une échelle très locale – que de couvrir ses besoins en électricité ou en télécommunications. Une coordination est non seulement nécessaire entre les structures de différentes échelles mais aussi entre les différentes structures de planification locale, étant donné que l’une peut peut-être couvrir des besoins auxquels l’autre ne peut pas répondre.
La deuxième question qui se pose est la question de l’organisation du travail. En ce qui concerne le choix de l’activité, les goûts et intérêts des gens étant extrêmement variés, on devrait sans trop de problèmes trouver des personnes pour toutes les tâches socialement nécessaires.
Pour les tâches aujourd’hui dévalorisées dans la société, on pourrait imaginer, durant une phase transitoire, de les rémunérer davantage afin de motiver les gens à s’y engager et d’en redorer le blason. Pour les tâches les moins attractives, il serait possible de mettre en place des systèmes de tournus mais aussi s’appuyer sur l’automatisation pour les rendre moins pénibles. Il est également important de noter que les métiers ne seraient plus les mêmes que ceux que nous connaissons aujourd’hui, qui sont construits sur mesure pour permettre une extraction maximale de valeur des travailleuse⸱eurs, mais qu’ils seraient conçus de manière à être aussi intéressants et épanouissants que possible.
Cela exige forcément une certaine déspécialisation, de manière à ce que les travailleuse⸱eurs ne soient plus seulement responsables d’une tâche précise (p.ex. serrer des boulons à longueur de journée) mais de l’ensemble du processus de production d’un bien donné. Tout ce qui relève de l’organisation concrète du travail au sein d’une entreprise sera déterminé par les travailleuse⸱eurs elles⸱eux-mêmes, car iels connaissent le mieux leur travail et la meilleure façon de l’organiser.
Enfin, pour ce qui est de la rémunération, le point de départ est de dire que peu importe son activité, l’ensemble de la population travaille et contribue à la société d’une manière ou d’une autre, dans la mesure de ses capacités. Par conséquent, l’ensemble de la population doit bénéficier d’une même rémunération suffisante pour couvrir ses besoins, qu’elle pourra dépenser selon ses envies et ses goûts. L’ensemble de l’argent dépensé pour acquérir les biens et services produits partira dans des caisses qui permettront de rémunérer tout le monde, mais aussi de financer les infrastructures et les services publics.
Mais si tout le monde gagne la même chose, où serait la motivation de bien faire son travail ? Celle-ci viendrait de la reconnaissance sociale, issue du fait que nos produits trouvent preneuse⸱eur, que les gens en sont satisfait⸱es, qu’iels nous remercient et nous félicitent pour leur qualité.
Voici donc comment une société socialiste pourrait fonctionner. Il en existe d’autres, bien entendu, et il est de la responsabilité des militant⸱es et des organisations de gauche d’en proposer, d’en débattre et d’être capables à les présenter à la population, afin de lui donner envie de s’engager pour ce monde meilleur.
Crédits
Image : Dodge some Socialism par rageforst æsthir sous licence CC BY-NC-ND 2.0.
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“Penser un avenir socialiste” par Thomas Bruchez, CC BY-SA 4.0. Source : https://laboussole.cc/posts/penser-un-avenir-socialiste/